Cet article fait partie d’une serie basée sur des expériences que j’ai vécue en tant que psychologue, client ou simple observateur.
Lors de nos études de doctorat en psychologie clinique, nous devions effectuer deux stages d’un an chacun. Ces stages, effectués dans des hôpitaux ou des services de santé mentale agréés, constituaient l’essentiel de notre formation pratique. Pour le premier, j’ai choisi le Centre de services psychologiques de l’Université d’Ottawa. Cet établissement offrait des services de psychothérapie pour le grand public à des tarifs très avantageux. La plupart des clients étaient suivis par les stagiaires.
Comme nous avions de beaux bureaux (l’immeuble avait été récemment restauré), nous y passions la majeure partie de nos journées, soit à voir des clients, à étudier, ou simplement à discuter entre nous. La charge de travail était intense, car toutes nos séances avec les clients devaient être enregistrées (audio ou vidéo). Nous devions ensuite écouter nos enregistrements et apporter le matériel aux supervisions de groupe. Pour chaque tranche de cinq heures de thérapie, nous devions bénéficier de quatre heures de supervision. Nos journées étaient longues, mais le meilleur restait à venir.
Étant donné qu’à Ottawa, beaucoup de gens travaillent de 9h à 17h, la plupart des clients du Centre voulaient venir après cette heure. Le Centre était ouvert du lundi au vendredi, de 17h à 21 heure. En soirée, l’atmosphère était différente. Il y avait peu de professeurs autour, presque pas de bruit et dix ou quinze stagiaires prêts à voir des clients, à discuter entre eux ou à faire une escapade dans l’un des petits restaurants bon marché proche de l’Université pour dîner.
Nous avons beaucoup appris pendant ce stage : travailler de longues heures et voir plusieurs clients ; gérer la paperasse et la bureaucratie ; discuter des cas en supervision et en entretien individuel. Surtout, nous avons appris à être thérapeutes, à comprendre ce qui affecte le client, comment l’aider et comment le lui transmettre.
Au fil des mois, nous avons perfectionné nos compétences cliniques. Certes, nous apprenions toujours quelque chose de nouveau, et c’est d’ailleurs toujours le cas, ce qui nous a permis de consacrer plus de temps à la lecture et à la prise de recul.
Un jour, je me suis rendu compte que de nombreux clients qui venaient au Centre avaient des âges finissant par neuf. Nous en avons discuté lors de nos conversations du soir et la plupart des stagiaires partageaient ce même constat.
Trois d’entre nous sont allés voir le directeur du Centre pour lui parler de ce phénomène et lui demander l’autorisation d’examiner les dossiers, sans regarder le nom du client, et de noter l’âge d’admission.
Le directeur a réfléchi et, deux jours plus tard, nous a convoqués. Il a accepté avec plusieurs conditions : la recherche devait avoir lieu un samedi, quand il n’y avait pas de clients au Centre et rester anonyme.
Il y a plusieurs années, les dossiers informatisés n’existaient pas. Le papier était roi et les dossiers ressemblaient à tous les classements typiques des bureaux de l’époque.
Nous nous y sommes rendus tous les trois un samedi et avons passé plusieurs heures à récupérer les dossiers un par un et à enregistrer l’âge du client lors de son premier entretien. Les résultats étaient clairs. De loin, le chiffre qui apparaissait le plus souvent était bien le neuf. Le deuxième, par ordre de fréquence, était zéro. Les autres chiffres étaient classés de manière apparemment aléatoire.
Bien que nous nous attendions à ce que le chiffre neuf soit le plus fréquent, nous avons été surpris par l’ampleur de la différence avec les autres chiffres. Nous avons également été surpris par l’apparition du chiffre zéro en deuxième position. Une situation logique rétrospectivement, mais nous avons admis ne pas y avoir réfléchi.
Les résultats étaient clairs. La question était alors : « Pourquoi ? ». Bien qu’il s’agisse d’une étude casuistique dénuée de rigueur scientifique, je pense que les motivations de certains patients à demander une thérapie à des âges se terminant par neuf sont les suivantes :
Les personnes insatisfaites de leur travail, de leurs relations ou de leurs aspects sociaux peuvent ressentir de la gêne, de la colère, de la dépression ou bien d’autres sentiments à l’idée d’avoir 20, 30, 40, 50 ans, etc. L’anniversaire précédent, soit, 19, 29, 39, 49, etc., déclenche le compte à rebours. Avoir un anniversaire rond, par exemple 40 ans, peut être malvenu, mais au moins cela peut-il porter l’espoir d’une décennie meilleure. Avoir un anniversaire se terminant par neuf marque non seulement l’avènement de l’anniversaire rond, mais aussi la fin d’une décennie qui ne les satisfait pas. Le statut « neuf » peut inciter certaines personnes à freiner et à traverser la vie au lieu de la développer. Être un « neuf » n’offre pas beaucoup d’avantages.
Les sujets que ces clients ont évoquées en thérapie montrent que notre intuition était juste. Nombre d’entre eux souhaitent changer leur vie. Nous constatons alors que, malgré toutes les connotations négatives que peut avoir le statut « neuf », celui-ci a une connotation très positive.
Cela amène le client en thérapie, car il a une liste claire de problèmes qu’il souhaite examiner et améliorer, et surtout, la plupart des clients sont motivés pour le faire. La thérapie n’est jamais un processus automatique, mais certains événements apparemment négatifs peuvent offrir l’occasion d’affronter ses difficultés, de les comprendre, de les résoudre ou de prendre des décisions importantes pour son présent et son avenir.
David Mibashan est titulaire d’un doctorat en psychologie clinique de l’Université d’Ottawa. Pendant près de 40 ans, il a travaillé en tant que psychologue avec des personnes qui se sentaient déprimées, anxieuses, au bord de l’épuisement professionnel ou tout simplement insatisfaites de certains aspects de leur vie. Avec ses clients, il a travaillé sur des traumatismes, le deuil, la douance, des handicaps, des questions d’immigration, entre autres. Il utilise une approche humaniste / existentielle intégrant des éléments du psychodrame, de la Gestalt et des approches systémiques. Il travaille en anglais, en français et en espagnol.